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| seigneuries,
        rivales les unes des autres, étaient trop nombreuses et la petite
        noblesse turbulente toujours prête à changer de maître, comme
        Vincentello l'avait appris, à ses dépens ; les barons orgueilleux
        prisaient par dessus tout l'équité ; ils avaient constamment reproché
        aux gouverneurs génois de favoriser certains d'entre eux au détriment
        des autres (1). Cette fois encore la partialité de Squarciafico,
        lieutenant des Fregosi dans la Terre des Communes, déchaîna la guerre
        civile : les évêques d’Aléria et de Mariana que Raphaël de
        Montalto
        avait favorisés, se plaignirent d'avoir été victimes de quelques
        injustices et se révoltèrent. Au même moment (1418), dans l'au delà
        des Monts, Polo della Rocca, plus ambitieux que son père François,
        l'adversaire de Vincentello, assaillit le seigneur d'Ornano et celui
        d’Attalà auquel il coupait la gorge (2), pendant que Renuccio de
        Leca, abandonnant le parti des Génois qu'il Considérait
        comme établis pour peu de temps dans l'île, cherchait à
        se créer une seigneurie indépendante. L'anarchie et la guerre
        civile qui agitaient la Corse entière allaient donc favoriser le débarquement
        et le succès du Vice-roi aragonais. Il était certain de trouver des
        partisans parmi les mécontents, tandis que les Génois n'avaient aucun
        secours à espérer de la République où la rivalité des Adorni et des
        Fregosi prenait chaque jour plus d'extension et condamnait la cité à
        l'impuissance.  L'arrivée
        de  Vincentello
        se produisait donc au moment le plus favorable. A peine l'apprit-on
        que Renuccio de Leca et quelques autres accoururent au devant de lui.
        On savait qu'il agissait au nom de l'Aragon et ________ (1)
        Squarciafico si fecie tanto amico con Pizino Lucitano che li altri
        caporali ne bavevano che mormorare e invidiare, massime quelli che erano
        amici di Rafaello di Montalto si teneano per aggravati……(Giovanni,
        p. 263).  (2)
        Ce trait de mœurs  qui, révèle
        la barbarie de l’époque n'est pas le seul. C’est à
        cette époque qu’un seigneur d Ornano également révolte ne
        faisait grâce à aucun prisonnier, criblant de coups de lance son « compère »
        Galeotto et faisant décapiter le père et l'enfant coupables seulement
        d'avoir garde leur fidélité aux Génois. (Giovanni della Grossa, p.
        268).  | 
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| on espérait que cette monarchie se déciderait enfin à occuper la Corse, comme elle l'avait fait pour la Sardaigne. Dans ce but elle devait être prête à envoyer tous les renforts militaires utiles. En même temps les évêques d'Aléria et de Mariana vinrent solliciter les secours du Comte qui n'eut garde de refuser. Assuré de leur concours inespéré, il reprend donc possession de la Cinarca par Vico et le Niulo arrive à Corte, dont il fait bâtir la citadelle actuelle. Squarciafico, malgré ses supplications réitérées à Fregoso, n'en reçoit que soixante arbalétriers. Il marche contre l'envahisseur, mais se laisse surprendre pendant la nuit près de Tralonca, est mis en déroute, fait prisonnier et transporté sur les vaisseaux aragonais peu de temps après. L'annonce de cette victoire attire au Comte de nouveaux partisans. Les seigneurs du Cap eux-mêmes se déclarent ses alliés. Il se sent assez fort pour mettre le siège devant Biguglia au mois d'août 1418. Une rébellion éclate en Cinarca. Il abandonne la place, poursuit les révoltés, construit de nouveaux châteaux, puis revient à Corte pour s'assurer de cette partie de l'île. C’est la période pendant laquelle il déploie la plus grande activité. Il passe sa vie cheval courant de l'en deçà à l'au delà, tenant tous ses alliés dans la soumission par sa présence continuelle (1), calmant la jalousie de celui-ci (2), apaisant l'envie de celui-là (3), suppléant à la faiblesse militaire (4) dans laquelle le laisse l’Aragon par sa persuasion et son activité. Le
      chroniqueur Giovanni della Grossa, qui était alors  ________ (1)
      Chronique de Giovanni della Grossa, p. 272 : Il conte stava sempre a
      cavallo quando da una e quando dall' altra parte di li monti, si bene la
      campagna era sua.  (2)
      Idem, p 271. Perchè il conte favoriva tanto a Judato da Casta, più di
      quel che favoriva il vescovo da Aléria, se
      ne disdegnò molto e non li era tanto amico come soleva. (3)
      Idem, p. 273 : Quelli Cinarchesi,
      che erano homini che havevano sangue ali occhi, non potevano sopportare di
      vedersi privati gentilihomini dil Conte Vincentello.  (4)
      Idem : Non haveva ne forze bastante, ne aiuto.  | 
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| au service du Comte (1) et connaissait à merveille la situation du guerrier, nous a donné clairement la raison des difficultés qu'il rencontrait dans sa tentative de conquête, alors que les embarras de Gênes auraient dû la faciliter. L'indécision d'Alphonse V à venir en Corse et le retard qu'il apportait à y mettre garnison enlevaient à son lieutenant toute possibilité d'obtenir un concours loyal de ses alliés (2). C'est en vain que la noblesse corse attendait son arrivée ; elle voulait bien le considérer comme son souverain, mais elle refusait d'obéir au Comte d'Istria. L'orgueil de ces seigneurs ne pouvait pas se plier jusqu'à prêter serment de vassalité à l'un d'entre eux. Le plus modeste possesseur de terre espérait le supplanter dans la vice-royauté de la Corse et obtenir les faveurs du roi (3). Il ne se croyait pas tenu à l'obéissance ou à l'observation de son serment. Vincentello
        était donc obligé de réaliser des prodiges de diplomatie pour
        conserver ses alliances. Au début de 1419, il reçoit de mauvaises
        nouvelles. Fregoso, que les affaires de Gênes retiennent sur le
        continent, mais qui ne se résout pas à abandonner une terre dont il
        espère
        faire un fief de sa famille, vient d'y envoyer André Lomellino, comme
        lieutenant-gouverneur, avec un renfort de 400 soldats. Vincentello,
        qui ne peut résister à une
        troupe régulière de cette importance, se retire à Corte, d'où il
        surveille les événements. Lomellino rassemble les partisans des
        Fregosi et commence une tournée à travers la Terre des Communes pour
        y  percevoir ________ (1)
        Chroniche de Giovanni della Grossa, p. 277 : Quando il comte dopoi
        passò avanti in Corsica… il
        scrivano Giovanni della Grossa…entrò al servitio dil Comte
        Vincentello il anno mille e quatro cento dicci nove. (2)
        Idem, p. 272 : Tante rivolte al paese e travagli del comte
        nascevano da che il Re mai si determinòdi bolere Cosica e venire o
        mandarlo a ricevero o ponere in essa il presidio che a novi Regni si
        suole. (2)
        Idem, p. 273 : Quelli Cinarchesi procuravano esser signori, e per
        esserlo si aiutavano e como e donde potevano valersi e non li
        observavano al comte la obbedientia ne promessa di vassallaggio, quando
        alcuno di loro li prometteva. | 
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| l'argent
    des tailles dont il a besoin pour entrer en campagne. Il visite la Casinca,
    la région de Talcini, est rejoint par les seigneurs du Cap avec cinq cents
    hommes dans la piève d'Ampugnani et delà se dirige avec ses douze cents
    hommes sur Morosaglia. Un matin, sa petite armée grimpait la côte qui
    conduit à ce village et la sécurité (1) que lui donnait l'éloignement du
    Comte établi à Corte avait
    dispersé les soldats par groupes de vingt ou trente sans prendre les précautions
    d'usage. Or Vincentello avait fait espionner ses adversaires et s'était
    tenu au courant de leurs marches et contremarches. Quand il crut le moment
    opportun, il quitta rapidement et en secret sa résidence, n'emmenant avec
    lui que son lieutenant Renuccio de Leca et les combattants strictement nécessaires.
    Par une course rapide de nuit, en suivant la vallée du Golo, il vient se
    cacher près de Morosaglia. De bon matin il aperçoit ses ennemis qui
    s'acheminaient par groupes isolés avec les renforts du Cap Corse en arrière-garde.
    Il se précipite furieusement sur ceux-ci, les atteint au lieu dit
    « la Castalachia » et les disperse. Le seigneur de Brando
    s'enfuit ; ceux de Canari et da Mare résistent, mais après un, combat
    sanglant, ils sont obligés de se rendre. Les simples soldats furent remis
    en liberté ; les chefs et les officiers emmenés à Corte furent réunis
    aux otages exigés de la Casinca et envoyés au château d'Orese. C'est en
    vain que Lomellino au bruit du combat était revenu en toute hâte sur ses
    pas. Il arriva à Morosaglia
    lorsque tout était fini le Comte déjà en route pour Corte.  Cette
    défaite le rendit prudent. Il abandonna sa chevauchée vers le sud, où
    radai son dangereux adversaire, revint
    à Biguglia, fit une nouvelle levée de soldats et  par
    Bigorno se dirigea sur la Balagne où il espérait reconstituer une armée.
    Mais son ennemi ne le quitte ________
     (1)
    Senza dubbio alcuno di ostaculo. Giovanni della Grossa, p. 274.
     | 
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| pas. Il
      part de Corte, se hâte par Caccia et Giusani, rejoint Lomellino à
      Speloncato et, malgré son infériorité numérique, se précipite sur
      les Génois. Le succès ne récompense pas son Courage : Il est repoussé,
      se retire à Corte et dans la crainte des représailles génoises, il
      fortifie le vieux faubourg, l'entoure de fossés et de palissades, en
      confie la défense à l'évêque d'Aléria, se rend dans le  Niolo
      avec l'évêque de Mariana, y mande
      Renuccio de Leca avec le contingent armé de la piève de Vico, qu'il
      gouverne, et dès lors il est prêt à repousser l'attaque de Lomellino.
       Le
      succès de Speloncato avait attiré sous la bannière de la République
      un nombre de partisans assez considérable pour
      que le lieutenant de Frégoso se crut en mesure d'assiéger Corte.
      Mais la résistance de la garnison lui enlevant tout espoir d'emporter
      de vive force la  place
      que Vincentello pouvait d'un moment à l'autre secourir, il  eut
      l'idée de faire appel à Polo de la Rocca qui avait épousé l'inimitié
      de ses ancêtres pour la famille d'Istria il lui fit savoir par des délégués
      que l'occasion d'écraser son ennemi était propice et il excita,
      si bien sa haine que Polo, réunissant tous ses clients depuis
      Cilaccia jusqu'à Bonifacio, se dirigea sur Corte. La peur qu'inspirait
      le Vice-roi d'Aragon était telle que à Antisanti le sire de la Rocca
      n'osa pas aller plus foin et franchir le Tavignano. Il regagna sa
      résidence,
      condamnant à un échec le chef génois qui pour éviter d'être pris
      entre les troupes de Vincentello et les défenseurs de la place préféra
      lever le siège et revenir à Biguglia. Là il dut licencier les
      mercenaires continentaux dont le temps d'engagement était expiré et les
      laisser s'embarquer pour la Terre ferme.  
      Ce
      contretemps et cet échec réduisaient les Génois à  l’inaction
      en même temps qu'ils remplissaient d'espérance Vincentello dont
      l'activité ne se ralentit pas. On le voit parcourir la Balagne où il se
      conduit en maître, percevant les tailles, distribuant les terres et
      l'argent
      aux caporaux de  son
      parti. Il affermit ainsi sa |