| 21 | 
| les
      ordres de Martin (1), et participa à la victoire du suzerain. Celui-ci
      mourut subitement à Cagliari
      au mois d'août 1409.  Le Comte perdait en lui son meilleur appui et cela à un moment où le territoire de Cinarca lui-même était mis à feu et à sang par la révolte des seigneurs d'Ornano et d'Attalà qui venaient de s'allier aux Génois. Il revint néanmoins en Corse, débarqua courageusement sur le territoire de Vico avec une petite troupe de soixante arbalétriers catalans, recruta aussitôt des partisans, attaqua et battit ses anciens alliés et vint assiéger le château de Bozio où s'était réfugié le seigneur d'Ornano. Une épidémie qui se répandit dans la place, décima les défenseurs et causa la mort de leur chef. La forteresse fut prise et ruinée. Vincentello rentra en possession de ses états et Renuccio d'Attalà, réduit à ses seules forces, consentit à une trêve. Le Comte était d'autant plus disposé à l'accepter que des circonstances imprévues allaient lui donner l'avantage. L'évêque d'Aléria, Jean d'Omessa, homme de guerre plus que d'église, comme beaucoup de prélats de ces temps troublés, et quelques personnages considérables de la Terre des Communes ayant eu à se plaindre de la partialité du gouverneur génois se liguèrent contre lui et commencèrent les hostilités. L'occasion était propice. Vincentello n'eut garde de la laisser échapper. Il traita avec les révoltés et apparut au nord de Corte (1411). Le danger que cette entente faisait courir à la domination ligurienne pouvait être mortel. La République très habilement se hâta de remplacer Lomellino par Raphaël de Montalto, ami intime de l'évêque. Son arrivée en Corse apaisait le ressentiment de Jean d'Omessa qui ne trouvait du reste aucun avantage à favoriser la fortune de l'Aragon, pays inféodé au Pape d'Avignon, Benoît XIII, alors que Gênes, reconnaissait l'autorité ________
       (1)
      Chronique de Giovanni della Grossa : Il re Martino dopoi avere
      sbarcato il sua esercito andò con esso inel quale era il conte
      Vincentello verso il campo di li ribelli, (p. 255).  
 | 
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| du pontife de Rome Grégoire XII. Le Comte fut
        donc abandonné ; malgré son ressentiment il dut renoncer pour la
        quatrième fois à ses projets et regagner l'au delà des monts.  Il se vengea sur les petits seigneurs de cette région dont la fidélité avait toujours été douteuse et, mettant à profit son inaction forcée, il s'empara successivement de tous les petits châteaux, en rasa quelques-uns, conserva les autres, mais ne les laissa entre les mains de leur propriétaire qu'à la condition de se reconnaître vassaux du roi d'Aragon (1) et d'obéir à toute réquisition militaire de sa part. Puis il établit son frère clans la citadelle de Baricini en qualité de gouverneur et garda pour lui celle de Cinarca, berceau de sa famille. Pendant trois ans il conduisit une guerre sans intérêt où les seigneurs feignaient de déposer les armes pour les reprendre aussitôt et dans laquelle il épuisait ses forces. Abandonné par le roi d'Aragon, le vieux Martin II, qui ne paraissait s'occuper que de la Sicile et de la Sardaigne où il guerroyait, il ne pouvait réussir dans ses tentatives sur la Terre des Communes. En 1415, il essaya encore de s'y établir ; Il essuya un grave échec près de Biguglia, perdit beaucoup de monde et dut se réfugier dans la Cinarca. Les Génois l'y accompagnèrent. C'est en vain que Vincentello acheta à prix d'or (1) la défection des caporaux qui le combattaient. La République qui pouvait alors s'intéresser à la Corse, y envoyait un nouveau gouverneur, Abraham de Campo Fregoso, avec une flotte de quatre vaisseaux et une compagnie de 200 ________
         (1)
      Chronique de Giovanni della Grossa, p.
      257.  (2) C'est à cette époque que les caporaux corses trafiquèrent pour la première fois de leurs fonctions. Ils imitèrent les condottieri italiens, toujours prêts à se laisser acheter par le plus offrant et se chargèrent de recruter des hommes pour les mener au combat en faveur du gouvernement génois. « Raffaello da Montalto tractò con quattro caporali li piu avantaggiatti ... Che questi dovessero servire in la guerra ordinariamente, sempri che fussi bisogno, in servizio dil cumune genovese, e fussino continuamcente pagati di cierto salario tassato per ognuno Questi furno li primi caporali salariati che abbiano salario in Corsica. Dopoi sono stali molti caporali salariati a pacto facto.» Chronique de Giovanni della Grossa, p. 260 | 
| 23 | 
| soldats et vers la fin de l'année 1416, les Génois
        se firent livrer le château de Baricini et se trouvèrent les maîtres
        de presque toute l’île.  L'Aragon
        au contraire, depuis la mort de Martin II qui ne laissait aucun héritier,
        traversait une crise dynastique. Les députés du royaume d'Aragon,
        Valence et Catalogne, s'étaient réunis et avaient choisi pour roi
        Ferdinand II, fils du roi de Castille et d'Eléonore d'Aragon. Ce
        prince avait signé en 1412 une trêve de cinq années avec Gênes ; il
        avait momentanément renoncé à tout projet d’expédition lointaine.
        Quant à la Sicile, elle avait perdu avec son souverain la paix intérieure.
        La veuve de Martin, malgré son titre de vice-reine, avait en 
        réalité laissé l'autorité à un consei1 de régents. Un de
        ses anciens favoris, renonçant avec peine au pouvoir, avait alors déclaré
        la guerre à la régente et fomenté une guerre civile qui affaiblit ce
        royaume jusqu'en 1416. L'échec
        du Comte d'Istria s'expliquait donc par l'abandon total dans lequel
        l'avait laissé son suzerain (1). Par bonheur pour lui, en 1416 un
        nouveau prince, Alphonse V, venait de monter sur le trône de l'Aragon
        et de succéder à Ferdinand II. Il fallait aller le trouver, lui représenter
        la situation et en obtenir une aide plus efficace. Vincentello
        s'embarqua donc pour l'Espagne et vint plaider sa cause. Alphonse lui témoigna
        la plus grande sympathie, et lui décerna le titre très recherché de
        chevalier pour tous les services qui avaient été rendus à sa
        couronne sur terre et sur mer (2). C'est à ce moment qu'il lui conféra
        (3) également la dignité de ________
         (1)
        Il conte non teneva niuna giènte
        pagata ne aiuto dil Re di Aragona al quale pér esserli affezionato
        recognoscieva per suo amico e signore, si risolse di andare dal re in
        Catalogna e ricercali aiuto e soccorso. Giovanni
        della Grossa (p. 262). (2)
        Comc amico e signore semprc lo aveva
        reputato e servito in Corsica e fuora molte occasionc di guerra. –
        Giovanni della Grossa (p. 269). (3)
        Gregori, dans son Histoirc de Filippini, T. II, nous a rapporté le diplôme
        qui confère à Vincentello le titre de Vice-roi et dont nous traduisons
        les passages suivants propres à donner une idée de l’étendue des
        pouvoirs du comte :  « 
        Nous, Alphonse, roi
        d'Aragon, de Sicile, de Va-  | 
| 24 | 
| Vice-roi
    la Corse, avec une délégation souveraine des pouvoirs royaux, au point de
    vue administratif, exécutif, législatif et judiciaire. Mais en dehors de
    cette confiance absolue et de cette autorité morale, il lui fut impossible
    de l'amener à faire un plus grand effort. Il ________
     «lance,
    de Majorque, de Sardaigne, Corse et Barcelone, duc d'Athènes  et autres  lieux, comte de « Roussillon et de Cerdagne, désignons
    comme  notre
    Vice-roi dans  le royaume de Corse, que de « nombreux rivaux de 
    notre maison nous ont arraché par la violence, le noble chevalier
    Vincentello « d'Istria, comte de Corse, dont nous avons apprécié
    les mérites,  la fidélité et
    les aptitudes;  « 
    Nous lui concédons pleine liberté et tout pouvoir sur tous nos sujets et
     vassaux, avec le droit « d'exiger de tous les serments de fidélité
    et de jouir des  privilèges et immunités concédés par nous ou
    « nos prédécesseurs.  « 
    Nous lui déléguons la connaissance de toutes les causes, procès, différents
    et conflits civils et « criminels, en premier et dernier appel, par
    l'intermédiaire de nos officiers ou de ceux qu’il aura lui-« même
    nommés, ainsi que le droit d'évoquer devant sa juridiction ou de juger
    conformément à la vérité « toutes les causes,  comme nous
    pourrions le  faire
    nous-mêmes (quemadmodum nos
    possemus) et celui « de
    faire exécuter en tous lieux les sentences ou de poursuivre et de contraindre
    les coupables. _________  « Il
    tiendra sous sa garde et protection toutes les villes, places et forteresses
    qui  nous appartiennent ou appartiendront à nos barons et il châtiera
    les rebelles de la manière qu'il le jugera.   « Nous
    lui remettons tous les lieux que nous possédons pour qu'il exerce la
    juridiction civile et « criminelle, la haute et basse justice, pour
    qu'il y nomme,  confirme ou change tous les officiers, « châtelains
    et administrateurs. Il aura sous sa domination tons les comtes, barons,
    gentilshommes, « chevaliers, caporaux,  habitants et personnes de
    l'île actuellement sons notre autorité ou qui pourraient « l'accepter.
    Il pourra exiger d'eux, aides, munitions et réquisitions, comme nous  pourrions
    l'exiger « nous-même (prout
    nos possemus personaliter constitui.   « Il
    sera libre de punir et de gracier, d'absoudre et de remettre, d'augmenter
    ou de diminuer les « peines. Il pourra, se faire payer tontes les
    taxes qui nous reviennent, les modifier, les accroître, en « dégrever
    les  populations,
    exiger le service militaire de nos vassaux, les investir de leurs fiefs,
    exiger « leurs hommages, en un mot 
    faire  en notre nom tout ce qui  sera
    utile pour notre service et notre « honneur ou pour le bien de ce
    royaume.  « Nous
    lui confions pour cela l'imperium et le pouvoir d'agir comme nous-mêmes
    (Volumus et
    intendimus vos eumdem vicegerem
    nostrum posse facere plenarie et complete…) et
    le faisons savoir à tous nos officiers, et sujets, habitants présents et
    futurs dans notre royaume de Corse pour qu'ils obéissent comme à nous-même
    (vetrisque jussionibus,
    ordination'bus et mandatis obtemperent, pareant et obediant « tanquam
    nostri…) Fait à
    Valence le 10
    février 1418. (Traduit
    du latin). | 
| 25 | 
| était visible
      que le prince n'était pas encore décidé à conquérir la domination de
      la Corse et qu'il se contenterait de défendre ses titres de propriété
      contre les Génois en facilitant l'occupation de l'île par ses vassaux,
      les comtes de Cinarca (1). D'ailleurs les affaires de Castille
      l'absorbaient alors entièrement. Il disputait à
      ses frères le roi de Navarre et Henri grand-maître de Saint
      Jacques de Compostelle la tutelle de Jean II et le gouvernement de son
      royaume. Une guerre avait commencé en 1417 qui devait durer trente ans et
      retenir à maintes reprises l'attention de l'Aragon. Sans se décourager cependant
      le Comte d'Istria résolut de tenter une autre fois la fortune et avec les
      modestes renforts qu'il avait obtenus, c’est-à-dire deux galères, une
      nacelle et une galiote, il se dirigea vers la Corse,  Depuis
      son départ la situation dans l'île était extrêmement troublée. Les
      Fregosi, dont l'un était doge de la République et l'autre gouverneur de
      la Corse, avaient formé le dessein d'en faire une seigneurie héréditaire
      pour leur famille et ils avaient confié la surveillance des différentes
      régions insulaires à leurs partisans. La République paraissait en effet
      ne vouloir faire aucun effort pour occuper le pays; elle laissait les
      principaux personnages de la cité en convoiter la possession, elle la
      leur donnait même comme au temps de la Maona, pourvu que les privilèges
      économiques de sa marine fussent sauvegardés et que le roi d'Aragon, qui
      l'avait dépouillée de la Sardaigne, ne lui infligeât pas la même
      humiliation en Corse.  Mais
      il était difficile, au milieu de l'anarchie féodale qui ruinait cette
      contrée, de satisfaire tout le monde et de tenir la balance égale entre
      tous le parti. Les _______ (1)
      Il Re non haveva animo determito div'oler il dominio di Corsica se non
      quella poca dimostrzionc ed
      intratenimento dil suo titolo di Corsica di quel modo li signolri di la
      famiglia di Cinarca suoi amici la conquistassero e tenessero non
      lassandolo regnare al comune di Genova, 
      il Conte pigliò quel poco di ajuto che potè avere. - Chronique de
      Giovanni della Graossa (p. 269).  |