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1417 avait mis fin au schisme. Le pape avait aussi à se plaindre de la reine de Naples qui s'était refusée à choisir son neveu comme héritier et lui avait préféré Louis d’Anjou. Il avait en outre tout à craindre d'une coalition qui menaçait les États pontificaux au nord et au sud et son intérêt comme sa rancune lui commandaient de  s'entendre avec le roi d'Aragon. Sans doute y avait-il eu entre eux à deux reprises une rupture ouverte : Alphonse gardait rancune à Martin V de son attitude en 1417 dans la question de l'attribution des bénéfices, mais le pontife pouvait reprocher au prince sa fidélité vis-à-vis de Benoît XIII, l'antipape, qui avait refusé d'abdiquer et, retiré dans l'Aragon, bravait à la fois les princes et les conciles. Mais voilà que cet obstiné Benoît mourait en 1424. Martin avait intérêt à s'entendre avec un roi qui le menaçait d'un schisme et méconnaissait son autorité pontificale à une époque où  précisément le concile de Constance (1418) proclamait la supériorité des conciles sur l'évêque de Rome ; dans un temps où les États tendaient à se détacher de son obédience et menaçaient la cour romaine de lui enlever ses revenus les plus importants. Le danger d'une formation des églises nationales qui allait triompher pour un moment en France avec la Pragmatique-Sanc­tion et en Allemagne rendit le pape plus conciliant et dès 1424 Alphonse et Martin V menacés par un ennemi commun se rapprochèrent.

C'est à cette entente que la Corse dut l'acte le plus intéressant de cette administration de Vincentello, c'est-à-dire le synode de 1426. La pacification de l'île ne pouvait être en effet complète que le jour où à l'apaisement laïc s'ajouterait une réforme ecclésiastique. Ses habitants n'avaient pas échappé aux désordres que le  grand schisme avait suscités dans toute l'Église. On avait vu les deux régions de l'en deçà et de l'au delà des monts, sollicitées par leurs sympathies politiques, reconnaître un pape différent. Puis l'incertitude des consciences avait ébranlé la foi, introduit dans le clergé une

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dépendance de caractère et chez les fidèles des pratiques qui lentement conduisaient à l'hérésie (1). L'incontinence des clercs si énergiquement combattue par Grégoire VII et ses successeurs avait reparu ; on avait proposé comme remède, lors du concile de Constance, une abolition du célibat ecclésiastique. Certains  étaient arrivés à ne plus considérer la fornication comme un péché mortel. Bien plus, les besoins de la papauté avaient augmenté la fiscalité et provoqué de abus dans la collation des bénéfices. Les dignitaires étaient souvent fort mal choisis ; les pontifes donnaient les principales fonctions à des cadets de noblesse ou à leurs créatures sans se soucier de leurs vertus ou de leur science et ces dignitaires s'occupaient beaucoup plus de percevoir ou de faire percevoir par une banque, les revenus de leur charge que d'en accomplir les fonctions. La simonie était devenue une pratique courante ; la résidence paraissait inutile ; certains évêchés ne voyaient jamais leur titulaire qui souvent était choisi parmi les étrangers au détriment des nationaux  et des clercs les plus dignes de la circonscription. Cet abus, qui sera une des causes de la Réforme avait été celle de la rupture entre le pape et l’Aragon ; en Corse il était très largement pratiqué (2). Les prélats des cinq diocèses n'étaient pas toujours les plus recommandables ; quelques-uns se montraient avant tout des hommes de guerre sanguinaires, cruels, violents et plus prêts à faire éclater la guerre

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(1) L'hérésie dite des Giovannali en est la preuve. La secte prit naissance à Carbini et se propagea avec rapidité dans toute l'île, d'après les chroniqueurs. Les adeptes prêchaient la communauté des biens, recommandaient ­la pénitence et la discipline corporelle ; mais leurs réunions firent croire à des pratiques scandaleuses, le pape prêcha contre eux une véritable croisade et après une guerre sanglante, ils furent traqués exterminés (1360- 1 370).

(2) Sans remonter plus haut, en 1391 l'évêché de Sagone fut donné à un Florentin ; en 1401, celui d’Accia à un Anglais, celui d'Ajaccio à un Espagnol. en 1406, celui d'Aléria à un Italien ; en 1411, Aléria encore est attribué à  un Génois, Ajaccio à une bénédiction étrangère, Sagone à un Bolonais

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civile qu'à prêcher la paix. Tel fut le personnage qui joua un grand rôle à l'époque de Vincentello, Ambroise d'Omessa, évêque d'Aléria ; tels furent aussi l'évêque de Mariana, le chanoine Costa et quelques autres.

La papauté trouvait du reste son profit à perpétuer l'anarchie et à s'entendre avec le bénéficiaire pour exploiter les fidèles. Le luxe de la cour pontificale ou l'enrichissement de la famille du pontife, à une époque où les circonstances restreignaient ses ressources, obligeaient les papes à donner malgré eux le mauvais exemple. Ils multipliaient les  levées de décimes, s'arrogeaient le droit de percevoir les taxes les plus diverses et inventaient les provisions, mandats apostoliques, réserves, annates, etc.

La situation était donc très grave et tout le monde au XVe siècle demandait une réforme tant au point de vue moral qu'administratif. Martin V l'avait promise ; il avait publié dans ce but dès 1418 plusieurs décrets pour limiter les exigences pontificales, interdire la simonie, renouveler les prescriptions au sujet de la vie et des pratiques ecclésiastiques. Il s'était entendu pour les faire appliquer avec la plupart des grandes puissances, Allemagne, France, Angleterre, et c'est un accord de ce genre que le pape dut signer avec Alphonse V au sujet de la Corse.

Martin V désigna donc Jacob de Ordinis, évêque de Sagone, et lui donna pleins pouvoirs pour étendre la  réforme au clergé insulaire. Vincentello se chargea de convoquer un synode véritablement national, puisque les évêques, clercs et moine, y furent invités en même temps que les seigneurs et les principaux fonctionnaires. L’assemblée discuta les mesures à prendre pour faire disparaître les abus les plus criants et les pratiques fort peu orthodoxes. La simonie fut interdite ; le montant des dîmes fixé et leur paiement déterminé, Elle s'occupa également de l'administration des paroisses par les curés et en quelques mots, comme le dit le Chroniqueur, « de toutes les prescriptions nécessaires pour

 

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que les choses ecclésiastiques fussent traitées avec le respect et la modestie qui leur étaient dues (1) ». Le pape sanctionna les décisions que le synode venait d'adopter et le Vice-roi se chargea  de les faire appliquer sous son autorité, en menaçant de châtiments rigoureux qui­conque ne les observerait pas scrupuleusement.

 L'œuvre de réorganisation et de paix qu'avait entreprise le Comte d'Istria et dans laquelle il semblait avoir réussi aurait donc dû lui attirer la reconnaissance générale et permettre à la Corse de jouir enfin de quelque tranquillité. Bien au contraire, les trahisons et les révoltes se succédaient depuis 1421. Dès cette époque, un ses parents, auquel 11 avait confié la garde du château d'Orese, prison d'état pour les otages de la dernière guerre tels que Lomellino, les seigneurs de Canari, da Mare et autres Génois de marque, le trahissait et livrait la place à Giudicello d'Ornano qui s'empressait de rendre la liberté aux prisonniers. A cette nouvelle, Vincentello bondit de colère. Il décida de reprendre tous les châteaux dont il avait laissé la garde à des membres de sa famille ou à des seigneurs alliés et il alla se faire successivement livrer ceux d'Ornano, de Bozio, de Cinarca dans l'au delà, puis la tour de Pietra alla Arata, forteresse réputée inaccessible dans l’en deçà. Pour assouvir sa rage contre les deux traîtres qui cherchaient à  s'enfuir dans le Cap Corse où ils trouveraient asile près des seigneurs da Mare, il les fit traquer partout. Ils furent capturés dans l'île de l'Or en Balagne et condamnés à l'écartèlement.

Cet événement assombrit encore l'humeur du Comte. Il semble que son caractère soupçonneux et vindicatif ait vu dans tous ceux qui l'entouraient des ennemis prêts à le tromper. C'est à cette époque qu'il se brouilla avec Giovanni della Grossa, un de ses plus fidèles serviteurs. Il aurait désiré s'emparer de la tour de Roccapina qui servait de poste avancé aux Bonifaciens. Il

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(1) Filippini, T. I, p. 263. (Trad. Letteron).

 

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avait appris que le frère de Giovanni, nommé Ugolino, comptait quelques amis parmi les de la petite garnison et il espérait que sous l'influence du notaire, Ugolino lui ménagerait une entrée dans le poste. Loin de donner un tel conseil Giovanni supplia son frère de ne point jouer le rôle de traître. Pour ce motif ou pour tout autre dont le Chroniqueur ne nous parle pas, Vincentello lui garda rancune, l'accablant de mauvais traitements et l'obligea à s'enfuir nuitamment jusqu'à Biguglia pour se réfugier à San Colombano, chez les da Mare, où il devait rester pendant quatre ans, de 1426 à 1431.

L'humeur du Comte s’aigrit encore plus. A défaut de Roccapina i1 tourna son ambition et sa colère contre la famille de la Rocca. Polo en était alors le représentant; il se disait l'égal du chef, de la famille d'Istria et indépendant. Sa qualité de chevalier le plaçait, ajoutait-il, dans la vassalité immédiate du roi d’Aragon. La jalousie et la haine de races aidant, Vincentello s'empara de son domaine et le chassa de Corse. C'est en vain que l'exilé courut se plaindre à Alphonse V ; les affaires de Castille où la guerre Civile continuait et celles de Naples retenaient trop l'attention du prince pour qu'il écoutât le ressentiment d'un simple baron contre son Vice-roi. Il éconduisit simplement le vaincu (1). Encouragé par cet assentiment en quelque sorte tacite, le Comte, poursuivit sa guerre contre les barons indépendants. Renuccio de Leca lui-même, gouverneur de la Cinarca, fut pris, jeté en prison et son territoire placé sous l'administration directe de Vincentello.

Ces spoliations successives étaient peut-être des dénis de justice, mais leur auteur devait avoir des raisons de se méfier de ses lieutenants et leur conduite antérieure excusait en partie son arbitraire. Un seul personnage avait trouvé grâce devant ses soupçons: c'était Lu­cien de Casta, descendant d'une des familles de caporaux

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(1) Chronique de Giovanni, p. 285 Non obtenne e se non tornò in Corsica


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